Journal de bord du capitaine. Coefficient espace-temps, D8C D89 00 A06... ahem ! Bref.

Ord Mantell. Nous évoluons dans un amas constitué de milliers de débris calcinés, des restes de structures déformés par des tirs nourris flottant au milieu de fluides gelés, de pylônes déchiquetés, de réacteurs disloqués et de -


[Lt. Carver] Capitaine ? Les senseurs ont détecté ce qui pourrait s'apparenter à une capsule de sauvetage. C'est... très abîmé.

Long soupir. Le siège pivota à 180 degrés et le capitaine Gansh Leeng tourna le commutateur, son journal émettant un bip de dépit. Jamais il ne finirait un rapport personnel de toute sa carrière. Toujours la prompte intervention du désespérant mais efficace subordonné impérial qui -

Je me permets d'insister, capitaine, l'équipe de pont ne fait pas confiance aux données visuelles.

Leeng étira lentement ses lèvres bleues dans un demi-sourire satisfait. Effectivement, l'Inquisition était peut-être le seul bâtiment de toute la flotte impériale où l’équipe de pont préférait que le capitaine jette un coup d’œil plutôt que de s’en remettre totalement aux machines.

[Gansh Leeng] Je vous suis, lieutenant.

Le Star Destroyer Inquisition, unique mais diablement efficace force de frappe du Bureau de la Sécurité Impériale, avançait au milieu d’un nuage de vaisseaux atomisés, ceux d’une escadre non identifiée l’ayant assailli une heure plus tôt. Leur intrusion dans l’espace aérien d’Ord Mantell avait sans doute été motivée par la présence dudit Inquisition, qui arborait par erreur le code couleur d’un transport d’épices. Cette erreur, qui aurait pu valoir une mise à pied à son responsable, fut de bon augure. Leeng n’aimait vraiment pas les groupes pirates, et il supposait que ses adversaires malheureux s’en réclamaient, aussi atomiser une escadre entière de rats de l’espace le poussa même à féliciter ses canonniers. Ceux-ci n’étaient pas habitués aux compliments et affichaient depuis lors un sourire discret sous leur casquette, le sourire du chien que le maître est venu flatter.

Ça m’a tout l’air d’être une capsule, effectivement...

Les officiers se permirent un bombement de torse satisfait. Appeler Leeng n’était qu’un prétexte pour valoriser leur travail.

... mais certainement pas de sauvetage.

Les officiers se dégonflèrent aussitôt. Leeng reposa ses macrobinoculaires et se tourna vers eux, l’air contrarié.

À quoi est-ce que vous me servez si vous n’interprétez pas vos visuels ? Ce type de fuselage n’est pas aménagé pour accueillir un système d’oxygénation de l’habitacle, c’est beaucoup trop petit. Ce que vous avez devant les yeux, c’est un module d’éjection des données sensibles d’un vaisseau, une balise qui se déploie pour émettre un signal de détresse et être récupérée.

Les hommes de Leeng n’osaient plus le regarder. Les connaissances élémentaires des systèmes de secours ne semblaient pas leur évoquer quoi que ce soit, et ils préféraient maintenir un silence gêné. Leeng eut cette espèce de torsion de la bouche caractéristique chez lui et dénotant une certaine impatience. Il se tourna à nouveau vers l’immense baie en transparacier qui lui faisait un reflet étrange et étiré, et vérifia une dernière fois le minuscule objet qui dérivait à cent mètres devant lui, dans le vide sidéral.

Pas de doute possible... elle ne s’est pas déployée. Sans doute le choc. Récupérez-la et ouvrez-la, je veux savoir qui ils étaient, d’où ils venaient, pourquoi ils nous ont attaqués. Allez !

Le pont fut soudain pris d’une effervescence coupable, chaque homme regagnant son poste en brassant un maximum d’air possible pour se donner une contenance.
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Leeng rit intérieurement en consultant le rapport de son aide de camp. Les défenses électroniques de la capsule étaient infimes, et pourtant elle contenait tout un plan de route détaillé, un amas d’astéroïdes revenant souvent dans les descriptions. Sans doute leur base, pensa-t-il. Les communications avaient été passées au crible, mais cette banque de données avait été endommagée par l’éjection (involontaire ?) de l’engin. Suffisamment d’éléments demeuraient pour que Leeng note avec certitude la présence de plusieurs terminaux impériaux, ainsi que des fréquences HoloNet débutant par les chiffres caractéristiques du haut-commandement. Un candidat à la Grande-Amirauté voulant l’écarter de son chemin ? Un vizir mécontent de son budget spatial ? Cette vipère hypocondriaque d’Isard ? Pas la première fois qu’elle essaierait...

Le Chiss s’enfonça plus profondément dans son fauteuil et prit le rapport suivant. Des fuites dans la base de renseignement, des agents discrédités, d’autres suspectés de trahison. Leeng se renfrogna. Le BSI était évidemment visé dans ce genre d’histoires. Les services de renseignement rivaux au sein de l’Empire s’échauffaient depuis des mois autour de cette affaire Varonat, s’épiant et se volant dans les plumes à la moindre occasion. Depuis que Ysanne Isard avait décidé, en véritable autocrate, de récupérer le BSI sous ses ordes, celui-ci multipliait les coups tordus envers sa patronne. Elle n'avait même pas pu virer les responsables des différents départements, car tous ou presque étaient en place depuis l'avènement de l'Impératrice et étaient ses protégés. Leeng se leva et alluma l’HoloNet. En consultant les différents rapports des départements de Recherche et d’Analyse du BSI, il remarqua que l’Intelligence avait récupéré un grand nombre de dossiers concernant Varonat. À plusieurs reprises, il aurait juré avoir d’abord consulté les dossiers en question dans la base interne du BSI ; il y aurait une fuite entre les deux groupes ? Les dossiers concernaient des dizaines de points, le ravitaillement, les déploiements annexes, des déplacements secrets en orbite... Mais quel intérêt auraient les Impériaux à espionner leur propre gestion de la bataille ?! Si ce n’était pour... Leeng entrevit pendant quelques secondes l’absurde complot : peut-on saboter sa propre armée pour discréditer des rivaux devenus trop gênants ? Isard ne pourrait quand même pas aller jusqu'à compromettre les flottes engagées à Varonat pour accuser ses rivaux et asseoir son hégémonie ! Il faillit se prendre au sérieux, mais ses échafaudages s’évanouirent lorsqu’il pensa à l’aspect excessivement tordu d’une telle théorie. Il se rassit. Observant le déploiement des étoiles dans la portion de galaxie visible depuis sa baie, il décida de se replier sur New Holstice, voire le Centre Impérial. Un rapport devait être fait, dans la plus grande discrétion, à propos de ces pirates. Et il fallait s’occuper des joints et des fuites dans l’évier du contre-espionnage.

En donnant les coordonnées à l’équipe de pont, Leeng se rendit soudain compte qu’il était diamétralement opposé à Varonat sur une carte de la galaxie. S’il y avait le moindre impératif à régler là-bas, il était distancé. Après tout, si l’II volait des renseignements sur Varonat au BSI, il n’était pas illogique de penser qu’ils aient lancé une escadre pirate indépendante sur le seul engin lourd que le BSI pouvait déployer, afin de retarder tout déplacement du chef du département Investigations (c’est-à-dire Leeng lui-même). Le capitaine espéra pendant un court instant que l’II n’était pas en train de lui voler une affaire.

Quelques minutes plus tard, l’espace avala le vaisseau.