Les Compagnons de Jivih regardèrent leur maître imposteur et dévoraient son dialecte qu’il déferlait sans vergogne, les trois princeps de l’Ordre du Cercle se regardèrent et ne comprirent mot aux paroles de celui qui se disait divin et fils de divinités. Lorsqu’ils comprirent le subterfuge qui animait la salle ils tentèrent une fuite discrète mais ne purent que rencontrer d’autres adeptes de Jivih et se hissèrent sur les loges pour esquiver la torpeur. Les armes ne furent pas sorties contre eux mais les regards des hommes présents dans le théâtre agirent comme un étau sur les esprits des pragmatiques et reconvertirent leurs âmes grâce à leurs facultés vahiques. Deux semaines plus tard, l’Ordre récupéra des missionnaires sur les couches et furent contraints de rendre les corps aux Compagnons afin d’atténuer les tensions que les lunaires revendiquaient de causer sur Terra. Depuis ce jour, plus personne n’ose entrer en intrus sur le sol du satellite, et le blocus s’est amplifié pour empêcher les fuites des profanes.
Encyclopédie Stellaire Impériale, IIIème de l’Imperium 3758ème Cycle
Prologue
Au gré des vents soufflés par les cristaux oxydoria sur les plaines de Serenis, le chartank tentait de se frayer un chemin dans les dunes de cette mer interminable qui menait à l’opéra des âges. Aux commandes, Jane Al’Ina, sous le commandement impérial de Pi II l’Imperator, manœuvrait sous les coups permanents des rafales qui risquèrent à plusieurs reprises de renverser le véhicule. Les aéromoteurs provoquaient des bruits inquiétants à l’arrière salle et l’explorator en charge de la mission semblait redouter l’instant critique de la rencontre avec les premiers compagnons. Lorsque deux minutes stellaires s’écoulèrent, le temps avait changé et le soleil offrait ses premiers rayons à la surface lunaire tout en offrant le spectacle magnifique de Terra qui, chaque cycle, s’agrandissait de son rapprochement avec son astre sœur. La pilote n’eut guerre le temps de savourer l’instant et amorça la fin du voyage en coupant la propulsion et en essayant d’installer l’imposant appareil militaire sur une aire spatioportée destinée à l’embarquement de navires colons. Bien évidemment, la demande d’engager un dialogue diplomatique ne lui semblait pas d’actualité et elle craignait que la procédure ne la pousse à risquer les armes faces à ces incompris de l’univers. L’explorator quant à lui se chargea, sans qu’un mot n’ait pu s’échanger durant tout le voyage, d’équiper son acolyte d’un lasorgun et d’une armure de soutien en tungstène allégé. Bien que d’habitude ce matériau s’utilise à des fins industrielles, l’Empire ne lésinait pas et fournissait des tenues hautement prestigieuses de cet alliage à ses soldats. Les pièces de cet équipement étaient spécialement conçues pour que son porteur lui-même n’avait pas à en supporter le poids et bénéficiait de toute la locomotion nécessaire afin de se mouvoir avec souplesse dans n’importe quel environnement. Un dernier regard sur la console de commande et Jane attrapa la crosse de son fusil, le cala sur son épaule, et regarda son supérieur. Son masque à oxygène avait un micro incorporé aux systèmes électroniques et la conversation se ferait via l’émission de sons à une fréquence adéquate pour l’environnement de Luna. Elle le toisa du regard, un regard bleuté de ses iris et savamment insistant sur la prétention. Ses cheveux sombres s’envolèrent lorsque la soute s’ouvrit, laissant découvrir le gris satellitaire et la morosité du paysage. A l’horizon, rien qu’une étendue de plaine plate et morne, presque morbide, jalonnée de ci de là par des arbres cristallisés qui ne cessaient de souffler leurs blizzards infernaux sur les étendues désertiques. Le commandant de l’opération se tourna alors vers son subordonné et constata qu’elle s’empressait d’émettre sa réticence sur les bienfaits de l’opération.
- Drack, pensez ce que vous voulez, mais je crois sincèrement que de tenter de négocier avec les compagnons est la plus grande erreur que notre empereur ait pu faire de toute son existence. On n’est même pas sûr qu’ils sachent encore parler l’humanoïde. Ces êtres sont une espèce à part entière qu’on ferrait mieux de raser plutôt que de rallier.
- Ne chuchotez pas si bas ils pourraient vous entendre, l’explorator hocha brièvement la tête avant de poursuivre avec moins d’ironie. Si nous sommes ici c’est pour une raison précise, les conditions de la mission sont claires, connaître la position des compagnons dans le conflit à venir et leur ouvrir la main pour une éventuelle alliance militaire. Dois-je vous rappeler qu’ils possèdent des facultés mentales hors du commun que nous ne pouvons nous permettre de négliger ?
Les deux soldats descendirent de l’immense engin et posèrent les premiers pas sur le sol. Leurs bottes soudées et renforcées aux pistons se mirent à s’enfoncer légèrement dans le sable, élevant autour d’elles des amas de poussière blanche abrasive qui se logea dans les cheveux et s’insinua dans les yeux des comparses. Ils avaient depuis longtemps activé instinctivement leurs lentilles protectrices et ne risquaient aucunement l’empoisonnement à toute substance étrangère. En plus des lentilles protectrices, lorsque les complices avaient passé le sas de leurs véhicule, un gel défensif les avait automatiquement recouvert, leur évitant non seulement le contact avec une température radicalement différente de celle du corps humain, mais leur fournissant également une réserve d’oxygène temporaire en cas de rupture avec toute source d’air. L’autonomie d’un tel gel variait en fonction de la température ambiante, de l’inclinaison des rayons solaires, ainsi que de la présence de bactéries technophages dans l’environnement extérieur. Pour chance, les conditions requises sur Luna étaient proches de l’optimal, et les envoyés de l’empereur bénéficiaient d’une durée de dix-sept jours standards avant épuisement de leurs ressources. Chiffres qu’ils pouvaient regarder sur leurs brassards digitaux, accompagnés d’une série de milliers d’informations diverses et variées sur les alentours. C’est en regardant ce temps que Jane ne put s’empêcher de poursuivre la conversation.
- C’est bien ce qui me fait peur dans toute cette histoire. Savoir qu’un être puisse sonder mon esprit ne me réjouit pas beaucoup.
- Détendez vous, L’Isa a programmé nos puces pour éviter justement ce genre de problème. Lorsqu’ils tenteront quoique ce soit sur nous, ils se rendront compte que la technologie cyclone les a rattrapés, voire même devancés.
- Je n’ai jamais fais confiance en l’Isa et leurs proximité avec Cyclön. Tout ce qui vient du cercle n’est pas fiable. D’ailleurs, tout ce qui ne vient pas de l’empire ne l’est pas.
- Croyez-moi, pour cette fois ci on peut leur faire confiance. Ils ne nous auraient pas envoyé au casse pipe sans avoir pris les précautions nécessaires.
- Je croyais qu’on était là, justement, pour leur permettre de prendre ces précautions.
La brume s’épaississait à mesure qu’ils avançaient en direction d’un premier signe de civilisation. Un bâtiment sortait de terre et venait s’encastrer dans une arche de carbone formée par la condensation des bouches d’échappement d’air. L’infrastructure n’était pas plus grande qu’une villa citadine des colonies avancées mais avait la particularité d’être entouré d’un muret protecteur d’une paire de mètre de haut. Un portail en verre signalait l’entrée de la demeure et deux unités astrobotiques semblaient garder l’entrée. Ces machines étaient la perfection du développement militaire humain et représentaient à elles seules l’incarnation de toute la haine que pouvait avoir les humanoïdes envers les colonies robotiques situées à l’extérieur du Système. Elles avaient été conçues durant les premières guerres stellaires dans l’optique de causer le plus grand nombre de perte dans chacun des camps qui se disputaient le pouvoir et avaient faillit causer, dû aux programmations multiples et aux erreurs récalcitrantes de leurs codeurs, la fin de l’humanité toute entière sur l’ensemble des planètes. Ce fut d’ailleurs l’un des facteurs décisifs de la reddition de l’ensemble des nations opposées qui s’allièrent pour tenter de remettre en ordre les programmes destructeurs des machines qui finirent par ne servir que les plus avides des hommes. Aujourd’hui, il était rare que quelqu’un les utilisa sans affirmer aux personnes qui passaient à proximité que leur possesseur détenait une richesse incroyable et qu’il était prêt à tout pour garder ses biens. Mais l’image et le symbole de ces armes étant une chose tellement ancrée dans les valeurs de l’humain, seuls les hypocrites et les hommes sans âmes se dotaient d’une telle arme. Les deux officiers arrivèrent à hauteur du bâtiment et purent constater que l’arche carbonée s’étendait en réalité à plusieurs centaines de mètre derrière, formant une butte incroyable.
- A en juger la hauteur et la profondeur de ce bloc de carbone, jugea bon d’indiquer Jane pour ajouter un argument à ses plaintes, personne ne doit vivre à l’extérieur de leur théâtre.
- Les compagnons sont des êtres très prudents et craintifs. Malgré tout ce que l’on peut dire d’eux, ils sont inoffensifs et restent terrés dans leurs caves.
- Voilà qui devrait conforter les Hysts dans leur théorie.
Le chef de l’expédition ne put s’empêcher d’émettre un rire étouffé à la blague de sa collègue et, tout en levant le menton en direction d’un astrobot, indiqua qu’il était temps de demander une invitation officielle dans la maison. Le peuple Jivih était en effet tellement renfermé sur lui-même et ses traditions qu’il était impossible de dialoguer avec eux via des canaux sub-spatiaux. Il fallait adopter une méthode des plus désuets pour demander à ce que l’hôte vienne vous accueillir dans sa demeure. Cette méthode consistait à sonnet au portique ou indiquer par un signal sa présence afin que celui qui possédait la propriété puisse savoir qu’on venait lui rendre visite. Jane ne put s’empêcher de penser intérieurement que ce procédé était entièrement basé sur une aberration, et se demanda comment ces gens faisaient pour se donner rendez-vous en certains lieux. Avant même qu’elle ne laisse tomber son raisonnement, elle se rappela que la faculté psychique des compagnons leur permettait certainement de dialoguer via des procédés télépathiques. Elle observa son avant bras, des mains délicates tenant une arme de mort et entouré de gants protecteurs d’un métal aussi solide que désiré. Sa puce intégrée ne devait pas être bien loin de son brassard électronique. Ses souvenirs d’enfance ne lui indiquaient pas à quelle période exactement ses parents avaient décidés de la lui implanter, mais elle se rappela avec regret du jour où elle avait voulu se la retirer dans un centre hospitalier réservé aux réticents invétérés des puces intégrées. L’épidorgien lui avait indiqué qu’en temps que prétendante à la Garde Royale elle n’avait ni le droit ni les moyens de se permettre une telle opération, et ses supérieurs hiérarchiques la placèrent de garde sur Plutonia. En reprenant ses esprits, elle remarqua que son supérieur s’approchait dangereusement des astrobots et se ravisa de lui faire remarquer lorsqu’elle constata que son assurance n’avait rien d’une folie passagère mais d’une bravoure éternelle qu’il avait toujours montré aux côtés de ses hommes. L’explorator regarda l’immense machine deux fois plus haute que lui, et faillit déglutir lorsque l’œil rouge mécanique de sa visière se mit à le fixer. En une fraction de seconde, l’œil pouvait s’embraser et déverser un torrent condensé de laser, pulvérisant l’humain en poussière.
- Je suis Lord Explorator Drack Philgeorn, émissaire diplomatique envoyé par Pi l’Imperator afin de dialoguer avec vos émissaires. Nous souhaiterions parler aux compagnons résidents dans ce théâtre. Si vous ne souhaitez pas de notre présence sur vos terres, nous repartirons sans chigner !
Il était obligé de crier, ne sachant pas si les récepteurs de la bête étaient capables d’entendre les émissions de son masque. Le géant d’acier continuait d’observer la créature vivante qui se trouvait face à lui. Une chose était sûre, elle ne disposait pas des programmes anté-belicos sans quoi elle aurait déjà déversé son magma infernal sur le chartank. La machine se mit à vibrer d’un son uni et ténébreux, avant d’apostropher Drack sur un ton sombrement grave et machinal :
- Les oppresseurs des peuples ont toujours évité de côtoyer les sages, et par delà des âges n’ont jamais tenté de comprendre notre peuple depuis les trois traîtres. De qui vous prétendez vous donc, humains, pour vous permettre une telle offense et souiller de vos pattes le sol de notre Maître à tous ?
- Nous sommes ici pour rencontrer un dénommé Tazerus Chartel, qui était chargé de dialoguer avec l’empire à l’époque de ce que vous appelez les trois traîtres. D’après nos informations, il serait encore en vie à l’heure actuelle étant donné la longévité des compagnons. Nous ne voulons rien de plus et je me répète, si vous ne voulez pas de nous sur vos terres, il vous suffit de nous le dire et nous partirons.
- Alors partez, car l’homme que vous cherchez a rejoint le Royaume de Jivih et ne fait plus partie de votre monde mortel.
La tension montait, le second astrobot tourna également la tête en direction de Jane et augmenta l’intensité lumineuse de sa pupille pourpre. Dans le jargon militaire il était évident que la situation actuelle était comparable à un amas de déjection, et Drack interrogea Jane du regard. La situation était tendue, ils étaient dorénavant tiraillés entre l’impossibilité de rester sans courir le risque d’être pulvérisé, et leur obligation de trouver un contact parmi le peuple des compagnons. Ce fut Jane qui fit un pas en avant, copiant l’ardeur de son supérieur, et surmontant sa peur innée des astrobots. Elle se demanda si ces machines pensaient réellement avec leurs cerveaux leptoniques, où si leurs programmes en était resté à leur état archaïque, dans l’incapacité de moduler un raisonnement logique à partir d’une situation donnée. Dans son questionnement, elle remarqua que quelque chose semblait ne pas concorder avec les unités mécaniques. Elle chercha réponse à sa question en ajoutant à son mouvement :
- Alors nous voulons parler à son successeur.
- Votre parole est ainsi remise en doute, la voix semblait plus virulente, plus grave encore. Vous avez refusé de partir lorsque je vous l’ai intimement demandé, aussi, je vais devoir insister en vous menaçant. Partez, ou nous n’hésiterons pas à vous éliminer de la surface de notre terre sacrée. Votre présence est déjà une insulte à notre peuple, nous ne pouvons en plus de cela supporter vos paroles.
Jane et Drack s’échangèrent un regard. Depuis le début de la conversation une chose les perturbaient semblait-il. Un robot, quand bien même fut-il des plus développés, ne pouvait en aucun cas parler en s’accaparant quelconques traits ou caractère d’une civilisation, d’un peuple ou d’une nation humanoïde. Les talents de la main humaine s’était toujours arrangés pour que des unités mécaniques restent indépendantes de tout groupuscule politique, et cela avait été démontré pendant les guerres stellaires. Ce qui perturbait donc Jane à cet instant précis, et ce qu’elle espérait que Drack comprendrait, c’était que ces machines semblaient parler aussi vivement et avec l’emprunte typique d’un compagnon. Ce n’est que lorsque Drack hocha de la tête que Jane comprit qu’il partageait également ce point de vu. Le pari était risqué, car les compagnons avaient semblait-il réussit à prendre possession entière des facultés robotiques des deux machines, et en faisait l’usage d’une vitrine de leur peuple. Si les compagnons étaient restés fidèles à leurs valeurs, ils ne pourraient mettre fin aux jours des deux envoyés diplomatiques. Les ambassadeurs devinrent alors audacieux, et à la surprise de Drack, ce fut Jane qui continua la conversation :
- Même si nous vous l’avions promis, nous ne pouvons partir. Car nous souhaitons dialoguer avec une personne ayant suivi Tazerus, ou l’ayant succédé, ou n’importe quelle personne en charge des relations avec les autres peuples. Nous savons que nous n’avons rien à vous offrir et que vous savez vivre en autarcie entière, et ne sommes pas là pour vous menacer, ni même vous exécuter. Nous avons d’importantes choses à dire à celui qui, aujourd’hui, est votre représentant. Des choses concernant notre système solaire. Des choses qui, si vous n’y prêtez aucune attention aujourd’hui, pourraient bien mettre un terme à votre existence en rasant Luna, Terra, Marz, et tous les astres du Système. Quelque chose bien plus menaçant encore que les guerres stellaires. Bien plus menaçant que vos astrobots, qui, permettez moi de vous l’annoncer, ne pourrons rien faire une fois que la menace sera présente.
Les machines s’arrêtèrent l’espace d’un instant. La coupole de leurs casques de métal semblait rayonner de réflexion, et Drack remarqua un semblant d’hésitation dans la micro gestuelle des deux robots. Son regard se porta sur le halo de lumière rouge que composait l’œil de la bête, et il remarqua que la tête effectuait quelques légers mouvements de droite à gauche. La théorie se concrétisait, les compagnons avaient bien pris possession des corps des astrobots qu’ils avaient certainement récupérés, flottant dans l’immensité sidérale de l’espace. Tout à coup les deux robots se mirent à épier Jane, le second prit alors la parole, d’une voix tout aussi ténue que le premier :
- Et quelle est cette chose qui vous effraie tant ?
Jane souffla, le pari avait été gagné. Et son collaborateur voyant qu’elle avait choisi de respirer plutôt que répliquer, prit lui-même la parole :
- Cette chose, c’est un trou noir qui est sur le point d’avaler l’entièreté de notre cadran stellaire.