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Quelque part entre les espaces Bothan et Hutt
A bord du Snakefang ~ Destroyer de Carida
11 H 18, standard de Rothana


Ce n'était pas sans une certaine irritation que je pianotais sur le bord de mon bureau. J'étais enfermée dans une petite pièce jouxtant la passerelle de commandement du vaisseau, entourée de toutes parts par divers commutateurs et interphones. Devant moi se tenait un écran d'apparence neutre mais qui à mes yeux et en cet instant me donnait le sentiment de caqueter d'un rire narquois. Horrible petite chose qui réduit à néant les distances, et qui permet à une personne d'en écraser une autre de quelques mots soigneusement choisis.
Les mots. Les mots sont ces choses qui gouvernent les mondes.

Et les mots qui s'étalaient en lettres clignotantes devant mes yeux fatigués et douloureux étaient haïssables au plus haut point.
D'ordinaire, je n'appréciais guère de m'éloigner de Carida, mis à part pour de brèves excursions nécessaires du fait de mon rang et surtout de ma position dans l'échiquier politique... qui ne me permettait pas de survivre sans me plier à un certain nombre de contraintes et notamment à l'attitude consistant à me rendre la plus utile possible pour ceux qui m'étaient directement supérieurs.

Parmi cette liste-là figuraient bien des noms qu'on ne se serait pas attendu à trouver. Et pourtant. Les échelles hiérarchiques se croisent et se survolent, et il vaut mieux avoir l'oeil aiguisé pour réaliser qu'elles sont loin d'être égales ou linéaires. Parfois, l'Empire ressemblait à un château de cartes dont la valeur inscrite d'un côté n'avait pas toujours de pendant chez une autre couleur, et où les dessins se mêlaient et virevoltaient dans la danse acérée des ambitions des uns et des autres. Il m'apparaissait alors, que pour le bien des peuples, il fallait susciter une énorme bourrasque pour faire s'effondrer toute la structure et organiser un véritable tri. Presque une purge !
Hélas, ces pensées me rapprochaient beaucoup trop des prétendus rebelles à mon goût. Et notamment au goût de ceux qui auraient pu avoir accès à ces mêmes pensées.

Heureusement pour moi, j'étais assez maline pour garder mes réflexions pour moi.


- Nous allons amorcer l'approche, grésilla soudain une communication.
- Entendu, soupirai-je. Prenez votre temps, je ne suis pas pressée...
- Bien reçu, Gouverneure. Terminé.

Bien que sa voix eût été formellement neutre, j'avais ressenti la complicité de sa formule. Ce "Bien reçu" impavide avait amené en moi un sourire reconnaissant et ironique, tant il dissimulait une certaine insouciante compassion. Il existait parfois, chez les Moffs ayant conservé leur caractère militaire, une complicité qui les liait aux équipages et aux soldats qui les servaient. Je n'admettais strictement aucune familiarité à mon égard, mais me souciait assez de mes subalternes pour que ces derniers ne me considèrent pas avec méfiance comme c'était parfois le cas de la part d'un subordonné vis-à-vis de son supérieur.
Avec un soupir résigné, je sortis de la petite pièce pour rejoindre le pont. Divers officiers manoeuvraient de concert et dans un silence presque total, échangeant brièvement quelques mots pour transmettre une information à leur voisin avant de se concentrer de nouveau sur leur tâche. Appréciant cette atmosphère quiète et organisée d'un hochement de tête, je m'assis dans le fauteuil spartiate réservé au capitaine du vaisseau - en l’occurrence, moi. Ce bâtiment n'était pas le mien, loin de là ; mais lors des périples les plus longs, qui m'arrachait à ma précieuse Carida, je préférais monter à bord d'un des Destroyers protégeant la planète plutôt que d'une simple navette.

Défiance excessive ? Peut-être. Mais je n'en étais pas tellement certaine...

Rothana apparut bientôt par la vaste verrière qui me faisait face. Un monde largement urbanisé et industrialisé, l'un des nombreux piliers de notre armement. C'était là que l'on m'envoyait pour cette mission... Et malgré tout le professionnalisme et la discipline que je m'imposais, je ne pouvais pas m'empêcher d'éprouver un certain malaise. Rothana était une planète proche de Kamino, ce qui dans mon esprit résonnait comme affreusement éloignée de Carida. Encore mal assurée et toujours en crise, mon monde d'adoption - d'une certaine façon - m'apparaissait comme un enfant immature qui avait encore largement besoin de ma tutelle. Ce voyage auquel je me livrais me laissait absente trop longtemps, et bien que j'estimais avoir laissé ma gouvernance dans les meilleures mains qu'il m'avait été donné de trouver, j'étais obligée d'éprouver une appréhension diffuse.
La commissure de mes lèvres se retroussa légèrement comme je riais silencieusement de ma propre idiotie.

- Nous avons reçu l'autorisation de nous poser, Gouverneure.

Autorisation effectivement nécessaire pour un vaisseau de ce gabarit. Et puis, cela donnait le temps aux autorités de préparer leur accueil...


- Alors allons-y, murmurai-je.

Au plus vite je m'acquittais de ma tâche, au plus vite je pourrai retourner aux affaires de ma planète.






Je m'emmurais dans un mutisme distant tandis que le Snakefang se posait à la surface de Rothana, prédateur de métal et de feu grondant qui vint défigurer l'astroport de sa tonalité martiale. Presque vide et peu imposant, il ne payait pourtant pas de mine, accueillant quelques vaisseaux de moindre importance et excellemment tenu en état. Affichant une mine qui se voulait austère, je me levais pour prendre la direction du sas.
Les stormtroopers avaient déjà établi tout un cordon, dont on ne savait pas vraiment s'il était destiné à me protéger ou à intimider nos hôtes. Ceux-ci étaient venus en un large comité, peut-être pour se rassurer. L'homme qui s'avança pour venir à mon encontre ne semblait pourtant nullement déstabilisé, et m'offrit un sourire engageant auquel je ne répondis pas.

- Bienvenue sur Rothana...

***

- Vous avez toujours fidèlement servi l'Empire. Aujourd'hui encore votre loyauté va être sollicitée.


Il m'observait sans rien dire, circonspect. Je m'étais dégelée tandis qu'il m'avait entraînée jusqu'à un complexe avoisinant, dont je ne parvenais pas à déterminer s'il était purement administratif ou non. Les murs en étaient uniformément blancs, presque cliniques. Les couloirs s'étaient assourdis du pas cadencé des stormtroopers qui s'y étaient engouffrés à notre suite, jusqu'à ce qu'exaspérée je ne leur ordonne d'attendre à l'extérieur, ne conservant qu'un trio de gardes. Là, il avait présenté une pièce faiblement meublée où nous nous étions tous deux assis à une table. Après un ultime échange de civilités, l'affrontement avait débuté.

Et dans ses yeux au gris froid, je n'avais lu que de la défensive.


- Je suis au service de l'Impératrice, murmura-t-il.

Le négociateur de l'Ingénierie Lourde de Rothana était un homme affable et effacé. Dénommé Vraël Izdriack, mince, nerveux, il n'en était pas moins vif et probablement assez mauvais et rusé pour ne pas être à ce poste sans avoir quelques tours dans sa manche. C'est pourquoi je n'étais pas venue pour lui demander quelque chose, mais pour le lui imposer, sous des allures de requête.


- Et elle vous en remercie.


L'ironie, dans ma voix, avait été aussi mordante que si un chien avait happé sa gorge.


- Entrons dans le vif du sujet. Votre entreprise a longtemps fourni, d'abord la défunte République puis l'Empire, en matériel militaire de qualité. Mais la guerre n'est plus et il nous faut désormais souscrire à d'autres... exigences. De même que vous si vous souhaitez faire perdurer cette entente.


Je rivais un regard acéré à ses yeux. Il hocha doucement la tête, ne pipant pas un mot.


- J'ai avec moi quelques documents assez édifiants concernant les nouvelles attentes de la marine impériale,
déclarai-je en présentant quelques feuilles que j'étalais soigneusement devant moi. Elles étaient annotées et incorporaient des schémas compliqués, relativement embrouillés, même. Peut-être ces lignes faisaient-elles sens dans son esprit. Jetez-y un oeil.

Méfiant, il obtempéra en saisissant délicatement les papiers et en les observant. A mesure qu'il les parcourait, son expression se modifiait subtilement. Il finit par me dévisager, l'air grave mais plus détendu.


- Et bien, voilà qui ne devrait guère poser de problèmes. Nous nous chargeons de préparer des plans correspondants et de vous les envoyer pour confirmation. Il vous suffira de signaler votre accord pour que la production puisse débuter.

C'était un marché honnête, et j'étais même étonnée de ne pas avoir à jouter pour l'obtenir. D'un autre côté, il n'était peut-être pas désireux lui-même d'argumenter longtemps face à son client au caractère sensible. L'Empire récompensait généreusement quiconque lui était aussi utile que l'Ingénierie de Rothana, mais si une main pouvait donner, l'autre pouvait reprendre tout aussi vite - et généralement, beaucoup plus que ce qui avait été accordé. C'était une manière de faire implacable, dure, mais pas forcément cruelle.
C'était une manière de faire... nécessaire.


- Les plans seront envoyés sur Carida, alors,
annonçai-je. Il opina encore du bonnet, acquiesçant brièvement. Si tout est clair, je ne vais pas m'attarder. Certaines affaires nous accaparent tous deux.

Je me levais pour lui dédier un demi-sourire auquel il n'aurait pas fallu grand-chose pour devenir amical. Nous nous serrâmes la main et il me raccompagna jusqu'au troupeau de stormtroopers qui attendaient à la sortie, l'arme à la main. C'est avec un certain soulagement que je remontais à bord du Snakefang, pressée de retourner à ma planète vacante.
Si l'on pouvait ne m'envoyer qu'à des missions aussi paisibles, mon existence s'en serait trouvée bien facilitée...


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