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- Hayn ! Incapable ! Cela fait quatre fois que tu échoues !

La voix rageuse de mon maître emplissait le dédale enténébré, emplissait mes oreilles, emplissait mon esprit. Elle y faisait tempêter son mépris et sa déception, plongeant un poignard en moi. Je savais que si je ne le contentais pas, il déchaînerai ses éclairs contre moi. Et, instinctivement, je savais que j'étais une expérience à ses yeux. Que si je faiblissais, je finirai jeté dans une quelconque noirceur insondable, oublié comme si n'ayant jamais existé.
Je ne pouvais pas me résoudre à cette fin.

Je portais la main à ma poitrine, poisseuse de sang. L'exercice de ces derniers temps était aussi simple qu'irréalisable : au coeur du labyrinthe se trouvait une balise électronique que je devais récupérer et ramener jusqu'à cette position. Evidemment, les murs étaient toujours truffés de ces ouvertures qui laissaient s'échapper les dards métalliques auxquels j'étais désormais habitué, sans pour autant que la chose ne représentât pas un danger immédiat pour moi. Mais par ailleurs, deux bandes de mercenaires se disputaient l'endroit, prisonniers de l'emprise mentale de mon maître que mes échecs répétés agaçaient au plus haut point. Ces rivaux s'affrontaient sans pitié avec des armes non-léthales mais confectionnées pour susciter la douleur dans le système nerveux de la cible, si manipulés qu'ils s'imaginaient en pleine guerre à lutter pour leur survie autour d'un point de récupération salvateur. L'objet que je convoitais, dans leur esprit, était leur unique moyen d'indiquer leurs coordonnées à un vaisseau imaginaire, censé les sortir de cet enfer.

Je crachais sur le sol mat et métallique de ce cruel terrain de jeu. Je n'avais droit à aucune arme pour atteindre mon objectif, rien que ma faculté à repousser les corps. Pitoyable.

- C'est impossible ! grondai-je en serrant le poing, la transpiration qui faisait luire mon corps mordant dans chacune des plaies que je portais.
- Combien de fois m'as-tu dit ça ? me rétorqua la voix agacée d'Avakarm. Me serais-tu si inutile ?

Et sa question résonna comme une promesse de mort. Je déglutis, avant de me relever. Je devais le faire. Je vais satisfaire ses attentes - ou crever d'épuisement et de douleur en essayant.

Une nouvelle fois, je m'élançais droit devant. Arrivé au premier croisement du labyrinthe, j'obliquais à droite. Pas d'hésitation, jamais ; pas de pause, pas d'immobilisme. Jamais. Laisser la Force s'insinuer, infiltrer chaque pore de votre peau. Electriser chaque fibre de votre être. Venir commander votre âme, vos sens, votre soif de vaincre qu'elle alimente alors ainsi que l'huile jetée sur le feu.
Le coup vint de devant. Une pique projetée avec assez de force pour se planter profondément dans le corps et jeter au sol n'importe quel homme normalement constitué. Une expression de rage inscrite sur le visage, je levais la main et m'imaginais injecter au travers de ma paume la colère qui me taraudait. Une poussée surnaturelle dévia le projectile qui cliqueta contre une paroi, redevenu inoffensif. Sachant que ces pièges étaient rarement posés sans qu'un autre ne le côtoie, je m'attendis, immobile, à devoir en repousser un autre - mais rien ne se déclencha. Je repris ma course, réalisant mon erreur une seconde avant que ses conséquences ne surviennent. Lorsque le chuintement spécifique retentit à mes oreilles, je savais ce que pensait mon maître.

Il avait anticipé ma méfiance et agencé les chausse-trappes afin qu'une fois le premier enjambé, le second ne soit par moi activité qu'avec un retard déterminé correspondant peu ou prou à ma période de vigilance. Quiconque se serait précipité après la précédente agression n'aurait jamais eu à s'inquiéter de celle-là...
Un arc électrique jaillit du sol et me frappa à la cuisse. Gorgé de watts, le muscle sursauta et ma jambe se déroba sous moi, me laissant tomber lourdement. Sous la pression exercée par mon corps, la dalle piégée s'enfonça de quelques centimètres, laissant des pointes resserrées s'enfoncer cruellement dans mon dos. Je poussais un hurlement étouffé de souffrance, sentant ma haine pour Avakarm exploser dans mon coeur.

Rugissant, je me détachais lentement des hideux crochets, y laissant nombre de lambeaux de chair.


- Je vous tuerai ! feulai-je en repartant de l'avant, ma promesse se répercutant dans le dédale.

Des tirs furent crachés d'une direction que je ne parvins même pas à identifier ; je sais juste qu'à cet instant, je roulais au sol dans un plongeon désespéré, laissant s'écraser le globe d'énergie au-dessus de moi. Ils n'étaient pas mortels, mais lorsqu'ils vous touchaient, tout votre système nerveux s'embrasait, comme s'il était devenu un réseau de filaments électrifiés et portés à blanc.
A force, je connaissais par coeur l'itinéraire. Le problème était que les sbires d'Avakarm rôdaient à n'en plus finir, me forçant à dévier et parfois même, à reculer. J'en perdais l'orientation, au point de redouter l'exaspération du Sith. Mais enfin, je reconnus l'embranchement et fonçais. Une aire relativement dégagée se présenta, au milieu de laquelle trônait un minuscule bunker abritant l'objet en question. Jamais encore je n'avais pu seulement mettre la main dessus !

Je m'élançais en ignorant les cris d'alerte qui jaillirent de partout. Au dernier instant, j'exécutais un violent saut pour me projeter à l'intérieur. Mes coudes raclèrent le sol, brûlant ma chair, mais je n'en avais cure - j'avais dépassé ce stade depuis longtemps. Envahi par une exultation sauvage, je rejoignis à toute allure l'arrière de la construction pour découvrir une simple sphère vrombissante. Un sourire se dessina sur mes lèvres, et je portais la main à mon trophée.
Aussitôt, un déclic grésilla.

Dans un sifflement serpentin, le globe vomit tout un lacis de lianes métalliques, que sa petite taille n'aurait normalement pas dû pouvoir contenir. Agitées par un tremblement furieux, les membres de l'incroyable droïde se refermèrent sur mon dos dans un sonore claquement de fouet.
Je m'arquais en arrière, poignardé par la surprise et le calvaire de ces zébrures qui marbreraient désormais ma chair pâle. La haine que j'éprouvais pour mon maître m'écrasa de nouveau, à la manière d'un magma trop réprimé. Abruti de souffrance et ivre de rancoeur, je me portais jusqu'à la sortie, titubant à cause de l'étreinte de la sphère qui faisait craquer mes côtes et mes vertèbres.

Quand la silhouette élancée d'un mercenaire se présenta devant moi.

Ce fut l'instinct qui prit le dessus - un instinct de Force. J'élevais la main et tendis les doigts vers lui, mais ce ne fut pas une poussée rageuse qui suivit ce geste. A la place, je prononçais ces quelques mots qui emplirent non seulement ses oreilles, mais également son âme et la mienne - et je ne reconnus pas ma voix.


- Tu ne vois personne devant toi, énonçai-je durement et avec lenteur, crispé par la violence des sensations qui m'assaillaient.
- Je ne vois personne, répliqua-t-il en haussant les épaules.

Le contraste entre la tension qui résonnait dans mes paroles et la nonchalance de ses propos était détonante. Rasséréné, il se détourna et sortit du bunker. J'en aurai été interloqué si je n'avais pas été sous le coup du pouvoir qui me dominait. Je lui emboîtais le pas pour croiser un trio de ses camarades.


- Je suis de votre côté.

Ils levèrent leurs armes vers moi, le doigt sur la détente. Celui de gauche ouvrit la bouche pour annoncer quelque chose, mais je ne lui en laissais pas le temps.

- Je viens réparer la balise. Je suis de votre côté.

Ce fut le plus grand qui me sauva la mise. Il arqua un sourcil en voyant que les autres étaient sur le point de faire feu, et avec rage repoussa les deux autres de l'épaule.

- Vous êtes cinglés ou quoi ? Il est...

Sans perdre de temps, je mobilisais tout ce qu'il me restait de ressources mentales pour générer une poussée de Force droit devant moi. Le trio fut pris dans le rejet grondant qui explosa sur place, les envoyant heurter l'un des panneaux métalliques dans un craquement sonore. Suite à la secousse, une volée de dards fusa en tous sens, forçant les autres protagonistes alertés par la clameur à se mettre à couvert pour ne pas être transpercés. Gagné par l'urgence d'une certaine façon, dopé au martyre qui vous saisit lorsque vous avez depuis bien trop longtemps dépassé vos limites, je m'engageais dans le dédale et détalais ventre à terre. Derrière moi, des hurlements de rage et de désespoir en constatant le vol de la prétendue balise s'élevèrent. Nul doute qu'ils allaient lancer toute une chasse à mes trousses.
Mais pour eux, il était déjà trop tard.

Chancelant dans ma course, m'aidant de la main quand je tombais, me relevant du genou... je finis enfin par atteindre mon point de départ - désormais, d'arrivée.
Avakarm était là, railleur, terrible de suffisance. A sa seule vue, ma rage s'évanouit tant la peur qu'il m'inspirait était grande et conquérante dans mon coeur.

Comme si je prenais seulement conscience que j'aurai dû mourir depuis des heures de cette épreuve, je tombais au sol, craignant de en plus avoir seulement la force de respirer.


- A ton réveil, Hayn, tu comprendras une chose.

Sa voix dédaigneuse coulait dans mes oreilles comme un poison... Mais un poison revigorant, sur lequel j'attachais toute mon attention vacillante.

- Ton sabre et les pouvoirs de la destruction ne sont pas tes seules armes. Ta cible elle-même est le point faible que tu dois exploiter ; la Force ne permet pas que de saccager et tuer, elle permet d'utiliser et manipuler. Pourquoi briser quelque chose que l'on peut ranger sous sa bannière ? C'est là l'une des sagesses de la guerre.

Je fermais les yeux, laissant ses propos se fondre en moi, s'inscrire dans mon âme. Oui, tout à l'heure, je n'aurai jamais pu gagner à la seule puissance de mon bras, par ma seule hargne et combattivité. J'avais simplement imposé une nouvelle vision des choses à mes ennemis... Et c'était pour ça que j'avais réussi.
Les ténèbres finirent par m'emporter, mais pas avant que je ne serre précieusement contre moi ce riche enseignement.